Depuis le 11 juin 2013, les chaînes de télévision et de radio publiques grecques regroupées sous l’acronyme d’ERT ont été brutalement interrompues par le gouvernement. Depuis cet événement, une nouvelle chaîne publique baptisée DT a été créé par l’État grec. Une petite partie des anciens employés de l’ERT est partie rejoindre cette nouvelle chaîne, tandis que d’autres n’ont pas accepté cette liquidation brutale. Ces derniers ont pris la décision d’occuper les locaux et de protester tant que leur situation ne sera pas réexaminée, refusant d’être licenciés sans aucun préavis.
À Thessalonique, nous avons pu rencontrer certains occupants des locaux de l’ERT3, une des antennes de la chaîne de télévision en Grèce. Les locaux demeuraient ouverts, et après une rapide explication concernant l’objet de notre visite, nous avons aisément été invité à visiter les différentes parties des locaux comme les salles de montage ou les studios de tournage, habituellement inaccessibles. Nous avons ainsi pu discuter des débuts de la lutte face à la décision de fermeture de l’antenne par l’État et de leur situation actuelle où l’usure des mois d’occupation et l’incertitude de leur devenir commence à affecter les esprits. Curieux spectacle des locaux qui semblent mis en veille, ordinateurs éteints, seules quelques personnes ça et là maintiennent entre autre le journal quotidien de la mi-journée. Situation plus qu’étrange que celle d’assister à la détresse et au doute de ceux, qui, auparavant faisaient vivre un des plus grand média du pays. Maintenant, la diffusion des programmes s’effectue en streaming sur internet bien que l’État ait tenté de l’empêcher.
Nos préoccupations : comprendre ce qui a changé dans leur choix depuis ce bouleversement et quelles perspectives d’avenir toutes ces personnes peuvent désormais entrevoir. Depuis le 11 juin, le plus grand studio qui servait à différentes émissions s’est transformé en salle dédiée aux assemblées générales, au minimum hebdomadaire, afin de discuter des décisions à prendre, de l’orientation de leur lutte. Ceux qui appartenaient à cet organe de l’État, même si certains revendiquent une position critique depuis toujours, sont maintenant forcés de réfléchir à cette relation d’appartenance, aux liens complexes qu’ils entretenaient et entretiennent encore avec les politiciens (lors de notre passage, ils recevaient dans leur locaux Alexis Tzipras, le leader du principal parti d’opposition Syriza). Ainsi, certains conservent la triste espérance d’un hypothétique sauvetage de l’ERT aux prochaines élections dans l’éventualité où Syriza passerait au pouvoir, et finalement d’un retour ou d’une amélioration, avec plus de liberté, au modèle antérieur.
Cependant, la plus part d’entre eux envisagent éventuellement une reconversion en média indépendant. Une des journalistes avec qui nous avons pu nous entretenir nous a expliqué combien l’expérience qu’ils vivent depuis des mois est importante à leur yeux, et qu’ils souhaiteraient s’engager dans une forme d’auto-organisation. Au moment de notre passage, ces questions occupaient leur discussions, en nous rappelant que cette étape demanderait du temps, de l’organisation pour réussir une transition vers un autre mode de fonctionnement. Sensible à ces questions et aux autres expériences qui fonctionnent déjà ailleurs (évoquant l’exemple de l’usine Vio-me ainsi qu’un journal indépendant à Thessalonique), ils souhaiteraient participer au développement d’un autre modèle d’existence dans la société qui implique les individus dans un véritable engagement politique.
S’il reste stupéfiant que certains et certaines puissent encore croire au système qui les a sacrifié, ce bouleversement a provoqué des réflexions et des modes d’actions inattendus. Cette entrée en résistance à d’après eux changé leur façon de travailler ensemble en passant d’un modèle hiérarchisé à une organisation horizontale, ainsi qu’un traitement de l’information plus libre en dirigeant désormais leur propre diffusion sur internet. Ceci représente peut être, plus qu’une prise de conscience, les prémisses d’une nouvelle orientation pour certains.